26-07-16 27-07-17 Deliveroo utilise cyniquement l’anniversaire de la mort de TEE pour se débarrasser de ses anciens livreurs

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Temps de lecture estimé: 5 minutes

Juillet 2016

Il y a un an disparaissait Take Eat Easy: devant sa folle expansion non rentable, les investisseurs avaient fini par dire ‘stop’, laissant sur le carreau des centaines de livreurs et de restaurants.

Un choc car cette boite était la plus ‘cool’ du secteur: un fonctionnement un peu artisanal, une image sportive et un peu rock ‘n roll: l’image de TEE empruntait pas mal de clichés aux coursiers New-yorkais. La paye (7.5€ par course à Paris, 6 en province avec des miniums garantis et des bonus pluie)  était équitable, quoique la volumétrie aléatoire accouchait parfois de shifts sous payés.

Quelques semaines plus tard, Deliveroo profitait de la disparition de ce concurrent pour resserrer la vis: la tarification des nouveaux coursiers passait de 7.5€ par heure plus 2 à 4€ la course à 5.75€ la course (5€ en province), sans paye horaire.  Certains minimums garantis étaient en place pour compenser d’éventuels shifts avec peu de courses, mais ils ont été supprimés peu à peu.

La tarification des anciens restait inchangée, même si régulièrement refaisait surface des rumeurs d’un passage à 5€/5.75€ la course pour tous.

On avait bien été incité à passer vers cette nouvelle tarification (Vous verrez, vous gagnerez plus!), puis plus grand chose jusqu’à la mi juillet de cette année, où l’on reçoit un nouvel email nous incitant à changer de contrat pour passer à une rémunération à la course.

Juillet 2017

On reçoit donc cet email, qui nous invite à changer notre contrat pour être payé à la course seulement:

Ils mettent en avant l’amélioration de l’algorithme de dispatch (le logiciel qui nous attribue les courses). Ils ont raison sur ce point: je voulais faire un article à ce sujet, mais l’actualité me donne plus envie de vomir que d’écrire sur les améliorations de Deliveroo.

Pour résumer vite fait, ici à Lyon on a longtemps tourné à 2 courses par heure de moyenne. Puis les différentes zones ont été fusionnées et un nouvel algo, Frank, a été mis en place.

On notera que ce n’est pas pour nos beaux yeux que ce dernier a été mis en place: la croissance est telle qu’ils ne peuvent recruter assez de livreurs pour assurer leur développement. Le nouvel algo n’est là que pour optimiser la flotte en place et éviter de devoir refuser des commandes de clients.

On remarquera aussi que cet algo est prédictif et s’améliore après chaque livraison en apprenant de sa propre expérience.

Bref, je suis passé de 2 à 2.2/2.4 courses par heure de moyenne (très loin des 3.5 à 4 annoncé dans l’article, qui ne doit concerner que Paris pendant les heures de rush), avec un maxi à 2.6 en juin, et une semaine entière à plus de 3 tout de même.

Avec les vacances, la tendance est à nouveau à la baisse.

Mais revenons à cet email, qui nous prend pour des crétins. A raison, oserais-je dire, car peu de coursiers calculent leur véritable ratio de course par heure. Beaucoup peuvent citer leur ratio en plein rush, mais pas une vraie moyenne lissée sur un mois ou une semaine. J’en croise qui me disent ‘ 2 ou 3 courses par heure’. Mais il y a un putain de monde d’écart entre 2 et 3 courses par heure!

Dans mon cas (3€ la course), ma condition de rentabilité avec la nouvelle tarification est la suivante:

5 * x > 7.5 + 3 *x

2 * x > 7.5

x > 3.75

Je suis donc rentable à partir de 3.75 courses par heure, ce qui ne m’est jamais arrivé même sur ma meilleure semaine. Depuis janvier, j’ai un ou deux shifts qui ont atteint ce ratio, soit environ 6h sur 900. Je perd (beaucoup) d’argent sur les 894 autres.

Dans le cadre de mon temps plein, cela représente une perte d’environ 400 à 500 euros par mois. Il faut aussi rajouter à celà les primes week end, qui n’existent plus avec le nouveau contrat.

A deux euros la course, le seuil de rentabilité est de 2.5 courses par heure. On est en limite, mais cela exclu encore une fois les primes week end, et mon calcul reste dans le cadre d’un 35 heures aux heures des repas. Pour ceux qui bossent en continu (les après midi donc), la perte est bien plus élevée car le taux de course horaire dégringole pendant ces tranches horaires.

A quatre euros la course c’est le fou rire assuré: il vous faudra faire ‘simplement’ plus de 7.5 courses par heure pour retomber sur vos pattes.

Evidemment personne n’a donné suite à cet email.

Mais voila, aujourd’hui, soit une quinzaine de jours après la réception de cet email, alerte générale: un coursier affirme sur Facebook qu’il vient de recevoir un appel pour le forcer à passer à la nouvelle tarification: soit tu acceptes, soit ton contrat se termine là.

Au cours de l’après midi, les même messages d’un peu partout en France: ça sonne chez tout le monde, d’un putain de numéro en +44 en provenance de Londres. Le message laissé sur répondeur évoque une ‘communication importante’.

On a confirmation qu’il s’agit bien d’un passage en force généralisé des anciens contrats vers les nouveaux payés seulement à la course.

C’est étonnant, car on se croyait ‘protégé’ par notre contrat à renouvellement tacite annuelle. J’avais franchi l’obstacle de la reconduction en février dernier sans soucis, et me pensais donc à l’abris jusqu’à au moins février 2018. En fait le contrat peut effectivement être rompu à tout moment par les deux partis, moyennant un préavis.

C’est encore tôt pour savoir ce qu’il va se passer, mais des actions sont envisagées ici ou là en province. De quoi faire sourire les ops Deliveroo vu les résultats de la contestation de Mars dernier?

Il y a une grosse différence: contrairement à mars dernier, on a rien à perdre: être viré ou continuer à 5€ la course, peu de différence. Foodora, UberEats ou Stuart rivalisent sans peine avec un Deliveroo à 5€ la course.

A Paris c’est un peu différent: la course est à 5.75€, et le nombre de courses par heure y est bien plus élevé qu’en province. Les coursiers Parisiens sont donc sans doute réellement gagnant avec ce système, voilà pourquoi c’est surtout des coursiers de province que la grogne monte (n’hésitez pas à confirmer ou infirmer cela dans les commentaires 🙂 ).

La suite? La rumeur annonce des courses à 4€!

On assiste donc à la fameuse clochardisation de notre métier que j’avais évoqué dans un article l’an dernier: à 15/17€ de l’heure ce job est cool (et les articles nous traitant d’esclaves complètement à côté de la plaque, mais il est vrai que j’ai été focalisé sur ma propre situation de privilégié en tant ‘qu’ancien’), à 10/12€ de l’heure (retirer 25% de RSI, 10% de congés payés, une mutuelle, une prévision accident, les frais de matériel, etc..) il vaut mieux faire la manche.

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