Et maintenant?

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Temps de lecture estimé: 11 minutes

Retour à la case de départ en ce qui me concerne!

2015

Fin 2015, voyant mon activité de ‘webmaster’/éditeur de site internet se casser la gueule, je devais trouver une solution de toute urgence afin de rebondir.
Certes, j’étais diplômé (école d’ingénieur, soit bac+5), mais après une quasi décennie ‘hors circuit’, un tel diplôme ne vaut plus rien (surtout que ne me suis pas du tout auto formé, l’informatique que j’aime -celles des années 80- ayant laissée la place à de la pseudo informatique de marketeux).

Mais plus que tout, j’ai quitté mon métier d’origine pour de bonnes raisons.
Vous pensez que livreur de bouffe en autoentrepreneur est un boulot d’esclave? Ne faites donc jamais ingénieur en SSII: les conditions de travail y sont bien pires!
Surtout pour les gens qui comme moi recherchent l’indépendance et ne supportent pas le petit train train quotidien d’un travail de bureau.

Métro/boulot/dodo: la caricature est plus que réelle lorsque vous devez vous taper 45 minutes de RER pour aller s’entasser à la Défense, faire semblant d’être pote avec des petits chefs, manger votre sandwich en 10 minutes devant votre ordinateur pendant la pause de midi, et repartir le soir dans la cohue des transports.  Ha, j’oubliais: faire du présentéisme, c’est à dire être payé 37 heures mais être obligé d’en faire 45 pour ne pas passer pour un glandeur. Quitte à passer 1h30 à errer sans but sur le web le soir avant de partir. Ou faire des heures sup non payées pour finaliser un projet.

Bref, fin 2015 j’en été arrivé à m’inscrire sur des sites de microworking. Mturk d’Amazon en est l’exemple le plus célèbre. Cela consiste à réaliser, comme le nom l’indique, des micro tâches ultra répétitives: retranscription de formulaires, de tickets de caisse, de factures, etc…

Sur le principe, j’adore: je suis bête et discipliné, et je n’excelle jamais autant que dans les tâches répétitives ‘cumulatives’: c’est à dire que plus tu vas vite, plus tu optimises, plus tu deviens autistique, plus tu gagnes! C’est pas pour rien que j’ai été pendant des années un des cadors de Kochonland, ayant main mise sur le marché spéculatif, haha !

Mais il y a un hic: alors que je visais 5 à 10€ de l’heure, il est en fait quasi impossible de gagner mieux que de 1 à 2€ de l’heure: il n’y a aucune viabilité économique pour un mturkeur occidental, même en ne comptant pas ses heures.

Dans un autre coin de ma tête trottait une autre envie: devenir coursier à vélo. Forcément, avec mes presque 15000 kilomètres de vélo et les dizaines de compétitions par an, cela faisait même plusieurs années que ça me titillait. Lorsque je lisais des articles qui expliquaient que ce job attirait des profils atypiques, dont pas mal de diplômés à la recherche d’un autre mode de vie, cela me confortait dans mon idée.

Mais d’un autre côté l’aspect fixie/chistole etc qui semblait indissociable du job me rebutait: pour moi le vrai vélo c’était les courses de Fédération, et j’ai jamais été attiré par tout ce qui est alleycat et compagnie, que je considérais à l’époque comme du sous-vélo. Et puis il fallait habiter et connaitre Paris.

Fin 2015, c’est le moment où le marché de la livraison de bouffe commençait à exploser. Impossible de rechercher une offre d’emploi en lien avec le vélo sans tomber sur ces fameuses annonces du style ‘gagne 2500€ par mois à vélo’.

Pendant les fêtes de fin d’année, alors que j’ai déjà postulé à quelques boîtes, dont Take Eat Easy , passe le fameux reportage au journal TV avec Leeroyd. Quand il annonce 2500€ par mois de revenus je me dit que c’est forcément des conneries.

2016

Je passe donc mon shift d’essai pour TEE la première semaine de janvier.  Je suis hyper stressé, comme pour un entretien d’embauche. J’ai tout préparé comme il faut (j’avais même potassé le plan de Paris, mais ça ne sert à rien car l’apprentissage se fait sur le terrain et apprendre des noms de rues sans avoir le visuel correspondant est vain), mais comme je ne connais pas Paris, je me dis que c’est loin d’être gagné pour être accepté. Avec le recul, et la grosse merde qu’est devenu la foodtech avec son cortège de clodos à velib, ça fait forcément sourire!

Je me lance donc à Paris, et dans l’inconnu, sans savoir ce que ça va me rapporter. Au début je pensais qu’il y aurait une commande de temps en temps, je me serais jamais douté que ce serait un vrai boulot faisable à temps plein! Toutefois le premier mois je suis à deux doigts de tout plaquer: cautions pour les sacs, manque de places sur les shifts, coût de l’hébergement, rachat de matos pour le vélo et frais cachés (les 25% de Stuart…): je ne gagne au final presque rien.

Mais très rapidement je prend mes marques, notamment grâce à Deliveroo dont la routine bien huilée permet de se faire de bons mois. J’arrive rapidement à me faire des mois à 2000, 2500€ en travaillant moins de 35h par semaine!

Il y a un hic: avec un statut d’auto entrepreneur, il est impossible de trouver un logement en région parisienne (c’est déjà pas évident en ayant un CDI), et je claque quasiment la moitié de mes revenus dans des logements précaires: bungalow (camping Paris Est à Champigny: sans lui j’aurais jamais pu faire ce boulot), appart hôtels minables, Air BnB, etc…

C’est pas une vie (j’ai parfois été à deux doigts de dormir dans ma voiture), d’où mon départ pour Lyon, où j’espère l’immobilier plus accessible, en plus de présenter un terrain plus sympa pour mes entraînements à vélo. Après quelques mois passés entre appart hôtel et meublé payé au mois, j’ai pu avoir un appart sur un coup de chance. On a pas idée de ce que ça fait de pouvoir mettre son nom sur une boîte aux lettres après avoir erré pendant près d’un an sans domicile fixe.

Je met le paquet en fin d’année, puisque jusqu’à présent malgré de bons revenus je n’ai pas pu mettre un sous de côté (le RSI me prend chaque trimestre tout ce que j’ai pu économiser, parfois même plus). Je vais ainsi réussir à atteindre 3000€ sur un mois, en faisant des semaines de 45 à 62 heures.

Ça parait fou, mais on prend le pli rapidement. Le fait de gagner pas mal de sous (et encore, c’était une mauvaise période chez Deliveroo) motive à enchaîner les journées complètes. Lorsqu’on revient à 35 heures par semaine, on a l’impression d’être en vacances.

Aparté: Les esclaves et l’ubérisation

Un petit point à ce sujet: on nous traite d’esclaves notamment car en ramenant nos revenus mensuels au taux horaire et en comparant les protections sociales à celles d’un salarié, on peut tomber sous le Smic.

Pour le premier point, revenir à ce que je disais un peu plus haut: en étant salarié, dans pas mal de jobs on ne peux pas se contenter des 35 (ou 37 dans mon contrat de cadre) heures officielles. On doit en faire plus, sous peine d’être au mieux mal vu, au pire rappelé à l’ordre (« comment ça tu te barres à 17h?? »). Il est malhonnête de toujours vouloir ramener au taux horaire, car dans ce cas certains cadres sont également sous le Smic. Tu crois qu’un paysan, un artisan,  ou un commerçant calcule son taux horaire!?

Même chose pour le comparatif avec les avantages sociaux d’un salarié. Les avantages d’un salarié sont artificiels: ils dépendent des lois en cours. Si demain on décide de donner 2 mois de congés payés à tous les salariés, l’entrepreneur perd donc mathématiquement 10% de son salaire? Je ne raisonne pas comme ça, même si évidemment parfois je regrette de ne pas avoir de congés payés!

Je sais que c’est mal vu dans le milieu anti uberisation,  mais je suis partisan du travailler plus pour gagner plus! T’es pas capable de rouler 300 à 400 bornes par semaine? Tu fais pas ce métier, tout comme moi j’irais pas bosser comme vendeur en ayant horreur des contacts humains ou chez McDo en étant vegan!

Il faut aussi arrêter de parler de cadence infernale! Ce métier peut tout à fait se faire en mode hyper cool, les délais sont très larges. Et puis je ne rappellerais pas une énième fois mes articles démontrant que la vitesse ne joue à peu près aucun rôle dans les revenus.

Bref, vous comprenez que si je respecte le combat des anti ubérisation dont je partage certaines valeurs ( et que j’encourage égoïstement dans leur combat contre Deliveroo), pour d’autres points j’en suis à l’extrême opposé. Tout comme Deliveroo joue le jeu de la propagande (les coursiers heureux de passer au nouveau contrat, les 3 courses par heure, le nombre d’anciens contrats), les anti ubérisation en abusent aussi (les 70 heures par semaine pour un Smic).

Evidemment, j’aurai peu de retraite, et mon contrat étant terminé chez Deliveroo, je n’ai pas droit au chômage. Mais voici un fait parlant: j’ai claqué pas loin de 4000€ de matériel vélo cette année sans me mettre dans le rouge (loin de là, même, et sans faire de crédit évidemment), chose qui aurait été simplement impossible en étant salarié au Smic.

Mais ce qui me fait le plus marrer c’est les gars qui s’entassent dans le RER chaque jour et qui viennent nous traiter d’esclaves: pour qui aime le vélo et le travail en extérieur, c’est tout simplement le plus beau métier du monde! Voir la ville évoluer au fil de la journée, au fil des saisons, ses lumières naturelles ou artificielles, sentir les odeurs de la nuit tombante, de l’orage au loin, le vent, la quiétude d’une ruelle désertée un soir de décembre, ou un après midi d’automne sous le soleil à admirer les bords du fleuve, tout cela est mille fois plus gratifiant qu’un putain d’open space rythmé par les conf call et les réunions de préprod!

2017

J’ai relâché un peu la pression, notamment depuis quelques mois: je me contente de 20 à 30 heures de boulots bien ciblées, avec un taux horaire moyen mensuel oscillant autour de 15 à 16€. Le restant provient de mon activité de webmaster: ça me sert à rien de travailler plus car le plafond d’auto entrepreneur est limité à 33100€ de CA par an (2758€ par mois).

On en vient donc à la fameuse administration fiscale française qui marche sur la tête: je dois me freiner dans mon boulot pour ne pas dépasser le plafond. Car si j’avais le malheur de travailler deux fois plus et de gagner 5000€ par mois, je devrais passer à un statut plus classique, et confiscatoire en plus d’être un casse tête de paperasse (comptable obligatoire).

En basculant en ‘vraie’ entreprise (EIRL, SASU, etc…), il ne me resterait que 2500€ pour 5000€ de revenus alors qu’en AE j’ai 2068€ dans ma proche pour 2758 de CA. Je génererais deux fois plus de chiffre d’affaire, mais quasiment qu’au bénéfice exclusif de l’état. Il ne me resterait que 500€ de plus chaque mois alors que j’aurais généré 2500€ de revenus supplémentaire.

D’où l’espoir, qui est en cours de confirmation, de voir doubler les plafonds du statut. Je me suis toujours dit que le jour où le plafond doublerait, je passerai en speed-bike pour faire 3000 à 4000€ de chiffre d’affaire en tant que coursier, soit environ 5000€ avec mes revenus de webmaster.

Plafond ou pas plafond, j’avais prévu une petite web série en novembre, sur le thème ‘gagner 4000€ sur un mois en tant que coursier’. Evidemment, le fait de ne plus bénéficier d’un contrat à l’heure chez Deliveroo remet tout cela en cause. Ironie temporelle!

Le premier shift du reste de ta vie

Je me retrouve donc un peu dans la situation de début 2016: je ne sais pas du tout combien je vais pouvoir gagner le mois prochain. Je suis encore inscrit chez UberEats, Stuart et Foodora, et je vais devoir re-tester tout ça.

UberEats

Ce sera mon premier choix. D’abord car il n’y a pas de planning. Après un an et demi à suivre des plannings, j’ai envie de plus de liberté. Evidemment, c’est aussi le point faible de Uber, car du coup on ne sait pas si l’on aura suffisamment de courses (ce qui rapproche UberEats du métier de coursier au bon des années 80, où il fallait aller à la pêche à la course en gardant ses bons spots pour soi). Toutefois le partenariat avec McDo semble plutôt prometteur en terme de volumétrie.

L’autre point intéressant est la possibilité de bosser jusqu’à deux heures du matin, ce qui convient à mon rythme de vie décalé. Enfin, ils sont les plus généreux sur les primes pluie (15e par shift de trois heures), ça peut aussi compter!

Stuart

Ils ont ouvert des créneaux les après midi et annoncent une grosse surprise pour la rentrée (les colis? Ça va faire 2 ans que j’attend mdr). Très peu de places chez eux, mais ils utilisent staffomatic, donc la réservation via script est automatisable 😉

Ils payent peu (9€ garanti par heure) et il y a peu de taf, mais il est possible d’obtenir 30€ de bonus par jour, faisant donc exploser le taux horaire.

Foodora

Les plus proches de l’ex Deliveroo, car payent encore (pour combien de temps?) à 7.5€ de l’heure et 2€ la course en province (3€ en théorie, mais non atteignable en pratique – jusqu’à 4€ possible à Paris selon le volume de commandes mensuel). Mais ils sont plus casse couille, notamment sur les no shows et les heures de connexion. Ne pas oublier aussi que sous leur allure cool, se cache une filsdeputerie digne de Deliveroo (voir les quelques messages Slack qui ont fuités dans différents médias).

Surtout, il y a peu de places sur les plannings, et les créneaux longs sont réservés aux anciens. Je n’ai fait qu’un seul shift avec eux donc à voir ce que ça vaut vraiment en pratique.

Ils ont encore les primes week ends (11.5€ de l’heure les vendredi/samedi/dimanche soir) et les bonus pluie (+2€ par heure), de ce côté là c’est un gros plus.

C’est la seule boîte qui me semble digne de l’esprit de TEE: on y voit rarement des pauvres types (le genre sur des VTT  pas à leur taille ou en velib) pédaler comme dans les autres boîtes. Beaucoup de vrais passionnés de vélo, qui avancent à bonne allure.

Deliveroo

Pour être honnête, ce sont eux qui assurent le plus de commandes. Mais maintenant qu’ils se sont débarrassé des anciens contrats payés à l’heure, rien ne les empêche de surcharger les plannings (d’autant que staffo a été remplacé par un agenda intégré dans l’appli ne faisant plus apparaître le nombre de coursiers staffés). Pour ma part hors de question de revenir vers une boite qui saborde ses plus fidèles coursiers (après avoir sucré tous les différents bonus au fils des mois tout en faisant la sourde oreille), mais je pense que hors Lyon (la ville la moins optimale de France à cause des montées et des deux fleuves), ils restent les plus rentables. Encore plus à Paris centre, avec la course à 5.75€.

Mais pour une question de principe, il faut les boycotter si vous en avez l’option dans votre ville.

 

Dans tous les cas, je vois pas trop comment je vais réussir à refaire des journées à 160/180€ comme je le faisais chez Deliveroo…

 

 

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